Dynamiques d'évolution des MOOCs en France et aux Etats-Unis

MOOCs : Etat des lieux des forces et faiblesses en 2014

Les questions soulevées par les MOOCs

Le problème de la triche

La triche...cet éternel problème qui se pose aux professeurs et aux institutions, et pour lequel les élèves redoublent d'ingéniosité afin d'obtenir de meilleurs résultats. Bien évidemments les MOOCs, dans la mesure où ils donnent lieu à une évaluation, n'échappent pas à la règle. De plus, le fait que les élèves passent ces évaluations chez eux, en passant par internet démultiplie les possibilités de fraude. Il est ainsi possible de réaliser tous les exercices avec des notes de cours, les cours eux-mêmes et toutes les ressources que l'on peut trouver sur internet (avec Google répondre à un QCM peut devenir très facile). De plus, nombreux sont les échanges qui peuvent avoir lieu entre les participants en "offline" (sans passer par la plateforme) : la divulgation des réponses est facile. Enfin, rien n'empêche à un participant de demander à quelqu'un qu'il connaît de passer les évaluations à sa place...
La possibilité de triche et la problématique d'identification des élèves sont sont des raisons majeures pour lesquelles la certification des MOOCs est encore peu répandue. La première solution qui est utilisée par toutes les pateformes est la mise en oeuvre d'un code d'honneur que chacun doit signer (ou plutôt cocher) afin de certifier qu'il ne trichera pas, ne diffusera en aucun cas les questions et ne fera pas réaliser son trravail par une tierce personne. A ce sujet, vous pouvez par exemple consulter le code d'honneur de la plateforme Coursera.
Au-delà de cette simple déclaration de l'utilisateur, les plateformes utilisent des mécanismes afin d'identifier les apprenants et s'assurer qu'ils ne sont pas remplacés par d'autres lors du passage des évaluations. Coursera utilise pour sa par la dynamique de frappe sur le clavier de la part de l'utilisateur (sur son blog officiel coursera mentionne : "a biometric profile of your unique typing pattern"), tandis qu'edX utilise principalement des méthodes de reconnaissance faciale.
Concernant plus spécifiquement la triche, des solutions existent théoriquement et ont été testées, mais ne sont à ma connaissance pas vraiment utilisées actuellement. Parmi elles, on retrouve la surveillance de l'élève par webcam, ou encore l'installation d'un logiciel de surveillance sur l'ordinateur de l'apprenant. Enfin, d'autres MOOCs, comme celui de Rémy Bachelet par exemple, organisent en fin de MOOC un examen en présentiel (cette disposition a notamment été utilisée en Afrique).

Le statut du savoir et son partage

Encore un aspect par lequel les MOOCs sont fondamentalement différents des cours classiques. Tout d'abord au niveau des ressources qui sont utilisées par les professeurs : dans le cadre d'un cours "fermé", avec un professeur présent en face de ses élèves, le professeur est plus ou moins autorisé à utiliser toutes les ressources et supports qu'il souhaite, dans la mesure où cette utilisation reste "privée" et ne sort pas du cadre de la salle de classe. En revanche, avec les MOOCs, les aspects ouvert et massif posent problème. Puisque les cours sont diffusés publiquement et sont visibles par tous facilement, les enseignants doivent uniquement faire usage de ressources pour lesquels ils ont une autorisation légale (soit parce qu'ils ont produit ces ressources eux-mêmes, soit parce que la licence le permet, soit parce qu'ils ont une autorisation du créateur). De manière symétrique, les élèves ne doivent pas non plus croire que les vidéos qu'ils visionnent, les cours qu'ils lisent,...leur appartiennent : il s'agit d'éléments qui appartiennent (sauf mentio contraire) aux enseignants ou à leur université, et ils ne sont à leur disposition que durant le MOOC (et ne sont plus accessibles une fois que celui-ci est terminé).
Concernant le partage du savoir cette fois, des limites existent également. Par exemple, des MOOCs produits aux Etats-Unis ou en France ne seront pas toujours autorisés à être diffusés dans d'autres pays pour des raisons de contenu et d'autorisation de leur diffusion.

La question du business model et de la pérennité des MOOCs

Pour l'instant, beaucoup d'universités qui se lancent dans les MOOCs les proposent de manière gratuite (du moins tant que l'élève ne demande pas de certification officielle - même si là encore des nuances existent), sans songer aux revenus qu'ils pourraient en tirer. Parmi les principaux coûts, on peut citer le développement des plateformes, et, pour les organisateurs des MOOCs, la création des vidéos et la modération des forums qui sont mis en place (pour lesquels il faut parfois payer des personnes à temps plein, tant l'activité est grande dans certains cours)/ Des subventions (20 millions d'euros pour France Université Numérique par exemple) et levées de fonds sont donc utilisées, mais de manière globale faire des MOOCs est pour l'instant une activité déficitaire. En revanche, les idées ne manquent pas pour rentabiliser cette entreprise, ou du moins générer quelques revenus, voici quelques idées :

La qualité et la certification

Je l'ai déjà un peu évoqué avec la question de la triche : la certification est un enjeu majeur pour les prochaines années (les prochains mois?) dans le développement des MOOCs. Imaginons en effet que les gouvernements en Europe, aux Etats-Unis,...accordent de manière durable et massive aux MOOCs une valeur égale aux cours dispensés de manière classique par les universités : les modèles d'éducation et les pratiques pourraient en être radicalement modifiés. Cependant, le chemin à parcourir reste long. J'y reviendrai dans la partie comparant la France et les Etats-Unis, mais les premiers cours certifiants ont été reconnus en Janvier 2013 aux Etats-Unis, et en Avril 2013 en France.
Aujourd'hui, lorsque l'on suit un cursus post-bac classique en Europe, un mécanisme reconnu pour caractériser les équivalences de formation selon les pays est celui des crédits ECTS (même s'il n'est pas sans susciter certaines critique - voir à ce sujet la page Wikipédia dédiée qui réalise un panorama assez intéressant). A l'échelle nationale, la reconnaissance d'un cursus est le fruit de l'histoire des écoles qui sont fréquentées par un élève, des contrôles et directives qui émanent du gouvernement. La question qui se pose est de savoir si ces crédits peuvent être transposés aux MOOCs (et, de manière plus générale, si les MOOCs ont leur place dans un CV) et si oui, de quelle manière cette transposition doit s'effectuer. Cette question est nécessairement liée à celle de la qualité : qu'est-ce qu'un bon MOOC? Quels sont les critères selon lesquels tel ou tel enseignement peut effectivement aboutir à une certification? Ces questions qui se sont déjà posées pour l'enseignement classique sont désormais également cruciales pour les MOOCs. Et la question est d'autant plus cruciale que les MOOCs ouvrent la porte de l'enseignement à tout le monde (même les particuliers peuvent enregistrer un cours et atteindre un très large public). Un bon enseignement doit-il nécessairement suivre les "standards"? La conférence EMOOCs 2014 a permis de montrer que l'Union Européenne a conscience de ces enjeux et travaille sur le sujet (voir l'intervention de Xavier Prats-Monné).

Les questions de pédagogie et la diversité des apprenants

Tout d'abord, nous sommes ici en présence d'un format d'enseignement et d'un contexte d'éducation totalement nouveaux, sous forme de vidéos, évaluations en ligne, collaborations vua réseaux sociaux...Toute une expérience doit être amassée afin de savoir quels sont les moyens les plus pertinents afin de réaliser et d'orchestrer le tout. Notamment, l'adaptation pour les professeurs qui souhaitent se lancer dans l'aventure n'est pas forcément évidente : beaucoup sont troublés (même les plus jeunes) la première fois qu'ils s'adressent non pas à des élèves directement, mais à une caméra! Des actions de formations doivent donc être réalisées à ce niveau. Un MOOC spécifique du nom de elearn2 existe d'ailleurs à ce sujet : il s'agit d'un MOOC ollaboratif où des enseignants partagnet leurs expériences et recettes afin d'apprendre à enseigner par ce nouveau mode.
Avant même toutes ces questions devra se poser celle-ci, centrale : les MOOCs sont-ils vraiment adaptés à l'enseignement, sont-ils efficaces? Si oui, les différences majeures qui existent entre cMOOCs et xMOOCs rendent-elles l'un des deux modes largement préférables à l'autre, ou un savant mélange des deux est-il la soltion optimale?

Ensuite, les MOOCs s'adressent à un très large public, et à tous les profils d'apprenants qui peuvent exister, ainsi qu'à toutes les cultures. Si pour l'instant beaucoup d'utilisateurs de MOOCs ont déjà des diplômes d'un niveau post-bac, certains sont également des personnes sans emploi ou n'ayant fait énormément d'études. Tout l'enjeu est de réaliser des cours qui soient adaptés et qui puissent apporter des éléments à tous. Si l'on ajoute à cela le fait que les participants à un MOOC ont des cultures très diverses, l'équation devient vite très compliquée pour les enseignants. Les données amassées sur les plateformes sont donc d'une valeur très importante en ce sens afin d'adapter les formats de cours et les plateformes aux élèves, et les évolutions de la recherche sur le sujet sont donc actuellement à surveiller de très près.
Pour pallier aux différences de langue, des solutions de traduction sont mises en place, par les professeurs, par crowdsourcing (les utilisateurs du MOOC compétents dans deux langues peuvent donner de leur temps pour permettre, en le traduisant, à d'autres personnes d'y accéder et de le comprendre), ou de manière automatique.

Je profite de cette section pour évoquer un article de Diana Laurillard, qui s'oppose quant à elle à l'engouement soulevé par les MOOCs, et montre les raisons de son opinion : "Education is not a mass customer industry: it is a personal client industry. The significant initial investment required in the preparation of educational resources can be distributed over very large student numbers and repeated runs of the course, but education is fundamentally about learning concepts and skills that we do not acquire naturally through our normal interaction with the world. And this takes time. It requires personalised guidance, which is simply not scalable in the same way. This is what the private educational sector continues to ignore, and it is why every new idea for solving the problem of mass education with technology falls flat." dans Five myths about MOOCs.
Au final, il est bien possible que la vague des MOOCs soit surtout portée par des élèves qui ont l'habitude d'utiliser les technologies informatiques dans le cadre de leurs études, et que l'adaptation soit beaucoup plus compliquée pour les autres. Un des arguments de Diana Laurillard se base d'ailleurs sur ce constat, et elle se demande ainsi pourquoi tant d'universités américaines veulent rendre leur savoir accessible aux étudiants du monde entier (alors que ces derniers sont, selon elle, pour la plupart déjà diplômés et n'ont pas un réel besoin de ces formations), tandis que nombre de jeunes aux Etats-Unis n'ont pas la chance de pouvoir accéder à un diplôme. A noter que cet article soulève également d'autres critiques pertinentes vis-à-vis des MOOCs que je ne détaille pas dans cette page.

Les disparités d'accès à la technologie


L'accessibilité aux technologies est également une limitation importante, même s'il a bien évidemment tendance à reculer au jour le jour. Actuellement, on estime à 20% la part de population français qui a un accès très restreint à ces technologies qui sont nécessaires pour suivre un MOOC. Cette problèmatique s'exprime bien entendu pleinement dès lors que l'on évoque les pays en voie de développement, en Afrique par exemple où la volonté d'apprendre est immense (en témoignent les statistiques d'inscriptions à certains MOOCs français, que ce soit ceux de Rémy Bachelet ou de Mathieu Nebra - j'y reviendrai ultérieurement) mais les moyens pas toujours présents. Cette analyse est néanmoins à nuancer, notamment avec le discours de Patrick Aebischer à la conférence EMOOCs2014. Le président de l'EPFL s'est rendu en Afrique afin de faire état de la situation et détecter les opportunités de développement pour les MOOCs et l'éducation en général : à beaucoup d'endroit la population manque d'eau,... mais ils sont connectés!

Le problème du taux d'abandon

Le taux d'abandon élevé est un sujet qui peut inquiéter dès lors que l'on analyse la réussite des participants aux MOOCs. En effet, il n'est pas rare que seuls 5% des apprenants réussisent à valider le MOOC (c'est-à-dire passer les évaluations et obtenir au final le minimum de points qui est requis). Les détracteurs des MOOCs en profitent donc pour tirer des conclusions selon lesquelles les MOOCs sont tout simplement inefficaces, et qu'une faible partie seulement de la population peut avoir la capacité ou la volonté de les suivre jusqu'au bout (même si je caricature un peu...). A l'inverse, beaucoup pensent que le taux d'abandon (et de manière symétrique le taux de réussite) n'est absolument pas l'indicateur qui permet de juger de la qualté d'un cours ou de l'efficacité de ce mode d'enseignement. Tout d'abord, le problème doit être abordé d'une autre manière : sur un cours de 100.000 participants, avoir 10% de réussite signifie tout bonnement que 10.000 apprenants arrivent à décrocher un certificat, ce qui est en soi une immense réussite. La philosophie de la plateforme britannique FutureLearn est d'ailleurs, selon Simon Nelson, grandement attachée à cette vision : la plateforme célèbre les succès des élèves plutôt que de s'inquiéter des abandons.
De plus, il faut replacer les MOOCs dans le contexte dans lequel ils sont proposés aux participants : ce sont des cours gratuits et accessibles sans aucun problème. Nombreux sont ceux qui s'inscrivent sans vraiment regarder le sujet du cours ou sans savoir s'ils auront le temps (et la volonté) d'y participer. L'argument de la gratuité attire donc de nombreux participants qui s'inscrivent uniquement "pour voir", et savoir à quoi ressemble un MOOC. Beaucoup oublient d'ailleurs par la suite qu'ils se sont inscrits, et les taux de "no-show" sont non négligeables. Les MOOCs sont peut être moins efficaces que d'autres modes d'enseignement, mais le taux d'abandon n'est certainement pas l'indice qui permettra d'en juger. Pour plus d'informations, l'article Completion Rates Aren’t the Best Way to Judge MOOCs, Researchers Say peut être consulté.

La résistance au changement

Encore un sujet dont on entend parler très régulièrement, et qui touche également les MOOCs et peut venir influencer leur développement : la gestion du changement. Frank Buytendijk dans son intervention à EMOOCs2014, a également parlé de la manière dont sont managées les écoles, et évoqué le fait qu'avant d'agir, elles avaient pour habitude de d'abord peser longuement le pour et le contre. Il ne s'agit pas là d'une critique, mais d'un constat qui, il est vrai, peut parfois mener à des actions trop tardives. Quand on sait la dynamique avec laquelle les grandes plateformes évoluent aux Etats-Unis, un danger peut ainsi exister de voir de nombreux MOOCs hébergés sur ces grandes plateformes, et donc l'ensemble du contenu maîtrisé (dans une certaine mesure) par elles. La même remarque peut être faite pour les institutions, notamment Européennes, qui devront elles aussi changer leur politique en matière d'éducation si les MOOCs continuent à gagner en importance.