Dynamiques d'évolution des MOOCs en France et aux Etats-Unis

Comparaison entre les deux pays

Après avoir évoqué les enjeux liés aux MOOCs, voyons comment les Etats-Unis et le France répondent aux difficultés et aux exigences.

Graphiques de comparaison

Commençons cette section par du concret, à travers trois graphiques permettant de comparer les plateformes de MOOCs importantes en France et aux Etats-Unis. Les deux premiers graphiques ont été réalisés grâce à des données que j'ai pu obtenir grâce aux plateformes et Wikipédia, tandis que le troisième est directement tiré des Echos.

Pour les deux premiers graphiques, les plateformes étudiées sont edX, Coursera, Udacity, France Université Numérique, Open Classrooms et UNOW. Tout d'abord en termes de nombres d'inscrits :

Nombre d'inscrits sur les grandes plateformes de MOOCs en France et aux Etats-Unis

Et en ce qui concerne le nombre de MOOCs proposés :

Nombre de MOOCs sur les grandes plateformes de MOOCs en France et aux Etats-Unis

Nous sommes donc bien ici face à un marché où les Etats-Unis sont largement devant la France et, d'une manière générale, en avance sur l'Europe toute entière. Ceci s'explique notamment par le fait que les Etats-Unis ont lancé leurs initiatives au public un ou deux ans (selon les plateformes) avant l'Europe. De plus, beaucoup de plateformes Européennes ne proposent pas (ou peu) de MOOCs en anglais, ce qui vient réduire le public potentiellement visé.

Enfin, un graphique réalisé par les Echos, dans son article Education : la difficile équation économique des MOOC

Levées de fonds et financement des grandes plateformes de MOOCs en France et aux Etats-Unis

Cette fois encore les Etats-Unis profitent d'une dynamique beaucoup plus favorable, notamment avec Coursera et edX. On peut noter la présence de plateformes dont je n'ai pas encore parlé sur ce site, notamment Udemy, qui est une plateforme comparable à Coursera dans la mesure où elle a été fondée dans un but commercial, sauf que les MOOCs sont beaucoup proposés par des particuliers (et non pas des universités) et sont très souvent payants.
Par ailleurs, France Université Numérique n'apparaît pas sur ce graphique, mais dispose elle aussi de fonds grâce au gouvernement Français : 20 Millions d'euros en tout ont été annoncés (12 millions dans un premier temps, et 8 millions supplémentaires ont été annoncés en Janvier 2014).

Bien évidemment ces données à elles seules ne permettent pas de juger de la qualité des plateformes, mais elles font partie d'un ensemble de faits qui montrent l'importante avance des Etats-Unis sur la France dans le domaine.

Un marché en expansion rapide

Une étude réalisée par Ibis Capital permet de saisir une fois de plus la vitesse de croissance des MOOCs, cettee fois à travers des aspects financiers. Le résultat de cette étude annonce en effet que le marché du domaine du e-learning devrait passer d'un chiffre d'affaires de 91 milliards de dollars en 2012 à 255 milliards en 2017 - soit une croissance annuelle de 23%.

Derniers évènements passés ou à venir autour des MOOCs

Voici quelques évènements majeurs qui se sont produits autour des MOOCs ces derniers temps (notamment durant mon activité de veille), et quelques évènements annoncés pour le futur. Quelques dates "fondatrices" concernant les plateformes sont également affichées pour replacer ces évènements dans le contexte très récent des MOOCs.
Afin de différencier les deux pays, les évènements liés à la France seront écrits en bleu, et ceux des Etats-Unis en rouge.

Bilan sur les MOOCs en France et aux Etats-Unis

Hype Cycle

Pour commencer ce bilan, reprenons le "Gartner Hype Cycle" qui montre les différentes étapes qui sont traversées par une nouvelle technologie, en termes de maturité et d'adoption par le grand public :

Gartner hypercycle about MOOCs

De nombreux acteurs majeurs s'accordent à dire que les MOOCs sont actuellement aux alentours du pic des attentes maximales (pour certains juste avant, d'autres juste après,...). Ce que tous ou presque s'accordent donc à dire, c'est que bientôt le stade de désillusion, inévitable avant d'arriver à un stade de productivité efficace, est en vue et pourrait être traversé à plus ou moins brève échéance. Mais ce qu'il ne faut à mon sens pas oublier, c'est que les Etats-Unis sont certainement à un stade plus avancé que l'Europe en la matière, ne serait-ce que parce que les premières grandes initiatives ont eu lieu un ou deux ans avant. Et, lorsque l'on voit la taille et l'efficacité d'une plateforme que telle que Coursera (spécialisations disponibles, version mobile en service, crédits officiels et reconnus accordés à certains cours depuis plus d'un an), on ne peut s'empêcher de penser qu'elle est certainement plus proche du plateau de productivité que nombre d'autres.

Europe vs Etats-Unis ?

En Europe d'une manière générale, la Commission Européenne, par l'intermédiaire de Xavier Prats-Monné (chargé de l'Education et de la Culture; un résumé de son discours à EMOOCs 2014 est disponible sur ce site) annonce travailler de manière active sur le sujet, et l'intègrer totalement à son projet Erasmus+ 2011-2020. A l'horizon 2020 le but sera donc de proposer des moyens de financement et des outils politiques afin de développer les MOOCs. Et, comme la crise fait toujours sentir ses effets, aucune "initiative personnelle" ne sera soutenue. Le but est d'avancer en groupe. Et, même si il n'y a pas vraiment de "guerre" contre les Etats-Unis en la matière, la notion de bataille de contenu sera tout de même un enjeu majeur dans les années à venir. Beaucoup expliquent côté Européen que le côté technologique (donc la structure de la plateforme) n'est pas le facteur le plus important, mais la qualité des cours elle-même.
Comme toujours, la question sera donc de savoir si ces outils annoncés viendront suffisamment rapidement avant que le marché ne soit totalement dominé par les plateformes Américaines comme c'est déjà le cas. Car, si Xavier Prats-Monné a sans doute raison en disant que la batailles des MOOCs sera une bataille de contenu, il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui déjà, quelques Universités comme HEC font le choix de déposer leurs cours sur la plateforme Coursera, ou encore edX (qui, ne l'oublions pas, va s'allie à Google pour créer la plateforme mooc.org). Cela veut tout simplement dire qu'une partie de ce contenu qui a tant de valeur est déjà hébergé loin d'Europe. De nombreuses informations utiles, notamment pour les recruteurs, quant au comportement des utilisateurs de la plateforme (leurs résultats, habitudes d'apprentissage, dynamisme,...) sont donc détenues et "offertes" à ces organismes. Et, si les MOOCs continuent à prendre de l'importance, on pourrait imaginer, dans une hypothèse un peu extrême, un marché du travail où une entreprise comme Google deviendrait un intermédiaire majeur entre les apprenants et les élèves, et où l'Europe perdrait une partie de son contrôle sur cette organisation de l'éducation et du travail. Les cours Français et Européens hébergés sur ces plateformes ne sont certes pour l'instant pas si nombreux, mais une réaction rapide doit être donnée si le souhait de l'Europe est de ne pas subir cette "fuite de contenu". Elle doit être d'autant plus rapide que l'effet de lock-in existe aussi pour les MOOCs : une fois qu'une Université a hébergé des cours sur une plateforme partiulière, il peut être très difficile pour elle d'en changer pour de multiples raisons.

Les opportunités en France

Tout cela étant dit, concentrons-nous maintenant plus particulièrement sur la France et les possibilités qui s'offrent à elle. On peut en dénombrer trois principales quant aux stratégies qu'il est possible d'adopter, et à chacune correspondent des acteurs très actifs en ce moment.
La première est la voie empruntée par France Université Numérique, la principale réponse donnée, au vu notamment des fonds annoncés pour son financement : pas moins de 20 millions d'euros. Pour ce qui est de la plateforme, c'est tout simplement le code opensource de edX qui a été réutilisé. La conversion en une plateforme française se déroule d'ailleurs avec une activité relative : certains éléments ne sont même pas traduits en Français, comme par exemple le bouton qui permet de vérifier les réponses lors d'un QCM, ou encore toutes les dates. "edX" apparaît même encore parfois dans les titres d'onglets, alors qu'il serait préférable d'y voir apparaître FUN...et il ne s'agit là que de quelques éléments parmi d'autres (j'ai également eu écho de la solution de correction par les pairs proposée par edX, et que les administrateurs de FUN ont voulu utiliser, sans vraiment y arriver...). Même si cette initiative est la plus prometteuse dans notre pays, il semble que les moyens techniques et compétences déployés ne sont pas forcément optimaux pour répondre aux exigences. Bien évidemment il se peut que je me trompe dans mon analyse, mais c'est ce que je retire de mon expérience personnelle sur la plateforme (2 MOOCs suivis entièrement, et d'autres à suivre), et de discussions avec d'autres acteurs Franççais.
Une autre solution suivie côté Français est le développement de plateforme spécifiques, ce qui est par exemple la stratégie de Unow ou OpenClassrooms. Lors de la discussion que j'ai eue avec Mathieu Nebra, celui-ci m'a affirmé le dynamisme qui existait au sein de son équipe dans le développement de leurs cours (équipe de projet certes restreinte d'après ce que j'ai compris, mais dans un cadre très stimulant et propice à l'innovation). L'entreprise a d'ailleurs réalisé une levée de fonds de 1 million d'euros en Février 2014. Reste à savoir s'ils seront de taille suffisante pour faire leur place durablement dans le monde des MOOCs.
Au passage, Orange, qui lance sa plateforme fin Mars, utilise la plateforme Claroline Connect, qui est une plateforme Open Source, mais n'ayant étudié ni Claroline ni Solerni (la plateforme d'Orange), je ne sais pas si l'entreprise a elle même mis en place une équipe de développeurs afin d'ajouter des fonctionnalités à cette première. Mais l'entrée en jeu d'une entreprise de la taille d'Orange est sans aucun doute une chance supplémentaire pour la France de peser.
Enfin la dernière solution est très simple, il s'agit de celle suivie par HEC, ou encore l'EPFL en Suisse : celle de faire héberger ses cours directement sur une plateforme telle que Coursera. L'efficacité est donc maximale et les coûts de développement et d'exploitation des plateformes très réduits. Mais des dangers tels que ceux que nous avons déjà évoqués plus haut peuvent exister et ne doivent pas être négligés.

Situation des autres continents, notamment l'Afrique

Dans cette partie, je vous propose une revue rapide de tous les continents et de leur dynamique par rapport aux MOOCs. Nous avons déjà beaucoup parlé de l'Amérique du Nord, mais un peu moins de l'Europe dans sa globalité. La situation dans les autres pays est comparable à la France, et différentes initiatives sont développées, sans pour autant qu'il n'y ait de véritable coopération à l'échelle européenne. Pour plus de détails sur le sujet, vous pouvez vous référer à la partie de mon site qui traite de la conférence EMOOCs 2014, et notamment le discours de Xavier Prats-Monné (chargé de l'Education à la Commission Européenne) en ce qui concerne les réflexions et efforts réalisés à l'échelle du continent.

Evoquons maintenant un continent pour lequel l'importance des MOOCs a été abondamment soulignée lors de la conférence EMOOCs 2014 : l'Afrique. Au même titre que de nombreux pays en voie de développement partout dans le monde (le Bangladesh a notamment été cité de nombreuses fois, tout comme l'Inde par certains aspects), les pays Africains et leurs habitants ont démontré leur soif d'accès au savoir dans les MOOCs auxquels ils ont participé jusqu'à présent. Cela est par exemple vrai pour le MOOC "ABC de la Gestion de Projet", à tel point que des centres d'examen ont été mis en place à Ouagadougou et Dakar pour les apprenants qui souhaitaient obtenir un certificat authentifié suite au cours. De même, les MOOCs réalisés par Mathieu Nebra (fondateur du Site du Zéro, aujourd'hui Open Classrooms) ont rencontré un franc succès auprès de ces populations. J'ai d'ailleurs pu discuter avec ce dernier au cours de la conférence EMOOCs 2014, et il m'a confié son ambition de continuer dans cette voie et encourager cette transmission de connaissances. Il s'agit d'ailleurs presque de la principale raison qui le motive à s'engager pleinement dans l'aventure des MOOCs. De la même manière, Patrick Aebischer (président de l'EPFL) nous a fait part lors de la conférence d'un voyage d'Afrique dont il revenait, et de cette même ambition de favoriser les relations entre les universités Européennes et les institution Africaines qui l'habite.
En résumé, nombreux sont ceux qui s'accordent à dire qu'il s'agit là d'une occasion unique pour l'Afrique de se développer à travers un accès facilité à l'éducation. Et la France a un rôle tout particulier à jouer dans ce développement : d'après Patrick Aebischer et l'expérience de l'EPFL, les Africains sont beaucoup plus actifs sur les MOOCs en français que sur ceux en anglais.

L'Amérique du Sud peut également profiter des MOOCs pour son développement, et cette fois ce sont l'Espagne et le Portugal qui sont très concernés et motivés par les possiblités. Carolina Jeux, PDG de Telefónica Learning Services, un acteur majeur des MOOCs en Espagne à travers la plateforme MiriadaX. L'Espagne est par ailleurs le plus gros producteur de MOOCs en Europe, avec plus de 136 sur un total de 394 en Europe (en Février 2014). La France en a 49.

Enfin, concernant l'Asie et l'Océanie, ces deux continents profitent également de cette nouvelle vague. Je n'ai pas vraiment étudié en détail les avancées, mais Kyoto a fait partie des Universités membres de la plateforme edX quasiment depuis son lancement. L'Australie a vu une plateforme qui lui est propre se développer, où sont déjà disponibles de nombreux cours : Open2Study.